Aurélien Lurquin et Thomas Perseval: la relève champenoise

    

Avec ses 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, on a souvent du mal à imaginer en Champagne les notions de « petit récoltant » ou « d’identité du terroir ». Une proportion vous aidera à comprendre les enjeux du vignoble champenois: 80-20. Les maisons de Champagne constituent 20% de l’effectif et produisent 80% du volume alors que le vignerons-récoltants  constituent 80% de la masse et ne produisent que 20% de l’or liquide.

C’est cette proportion qui a assuré le succès mondial du Champagne et qui a permis d’atteindre une telle qualité. En effet, il vaut mieux être un géant pour financer l’image de la boisson gazeuse la plus prestigieuse de la planète. Une fois que cet objectif est atteint, il n’y a plus qu’à en profiter et c’est là que les vagues de vignerons talentueux se sont engoufrés et ont permis grâce à leur travail de hisser le Champagne au niveau des meilleurs vins blancs. Les amateurs se souviennent des premières stars: Selosse, Agrappart suivis par Lassaigne, laval, Léclapart et bien d’autres… Aujourd’hui de jeunes vignerons poussent aux portes et on ne sait plus où donner de la tête, entre Bourgeois-Diaz, Barrat-Masson, Olivier Horiot, Aurélien Laherte… Mi-Fugue Mi-Raisin a décidé de rendre visite à deux jeunes vignerons situés dans le parc régional de la montagne de Reims: Aurélien Lurquin à Romery et Thomas Perseval à Chamery. Une fois n’est pas coutume, nous présenterons deux vignerons dans un même billet car Aurélien et Thomas sont mus par le même souci de perfection, font tous deux partie de l’association Des Pieds et des Vignes, s’entraident à la vigne et au chai… et, last but not least, élaborent des vins exceptionnels.

    

Comme tout vigneron qui se respecte Aurélien et Thomas vous emmènent visiter leur vignoble avant de commencer une dégustation. On oublie trop souvent que le Champagne est aussi une affaire de terroir. Ce dernier est souvent gommé par les bidouillages des marques qui cherchent un goût « typique » et ce, quel que soit le millésime. Obtenir un goût standard est chose aisée: il suffit de sélectionner les levures et le sucre qui seront responsables de la prise de mousse. Chaque maison a sa recette et s’enorgueillit d’avoir un goût reconnaissable. La priorité de ces deux domaines est bien différente: rechercher l’expression la plus juste du terroir à travers un travail acharné à la vigne. Bizarrement on reconnaît là le discours qui prévaut dans le monde du vin, mais tout aussi bizarrement on oublie parfois que le Champagne est aussi un vin!

Aurélien Lurquin est récemment passé de 1.8 à 2.3 hectares, une surface a priori « honnête » pour abreuver les passionnés de Champagne… sauf qu’il ne commercialise à titre personnel que 20% de la production, soit 2000 bouteilles par an (dont la moitié pour la France), le reste étant destiné au négoce. Les vins d’Aurélien sont donc aussi confidentiels qu’exceptionnels. Après la visite du vignoble, direction la cave pour déguster. Le contraste est pour le moins saisissant entre les centaines de barriques alignées dans les grandes maisons et une dizaine de barriques chez Aurélien. Bien évidemment Aurélien n’a pas l’intention d’en rester là. Il compte garder à terme une bonne partie des raisins qu’il donne au négoce. D’ici là il faudra malheureusement se contenter de quelques bouteilles.

Aurélien partage sa production entre coteaux champenois (donc sans bulles!) blancs et rouges et Champagne. Tous les jus dégustés possèdent une maturité et une rondeur inouïes donnant l’impression que la totalité de sa production pourrait se faire en coteaux champenois… ce qui est plutôt rare: goûtez les vins tranquilles en Champagne et vous verrez qu’en termes d’acidité et de « verdeur » la dégustation tient plutôt lieu de détartrage. Nous avons commencé la dégustation des barriques du millésime 2016 par son Chardonnay-Petit Meslier, un vin qui sera champagnisé. Le jus est d’une grande finesse. Aurélien nous fait goûter la même barrique sans SO2 et sans débourbage. Les lies permettent de « nourrir » le vin sans le dépouiller et le résultat est à la hauteur: on obtient encore plus de profondeur et d’intensité aromatique. Nous avons ensuite goûté les deux barriques destinées au coteaux champenois rouge. La barrique de Pinot Meunier (sur un sol crayeux) est simplement splendide avec une fraîcheur et un fruit digne d’un grand Bourgogne. Quant au Pinot Noir, il est plus fermé, mais d’une grande puissance avec une matière soyeuse. L’assemblage des deux promet… et sera disponible dans deux ans.

Nous avons fini la dégustation par une bouteille de Champagne 2013, un pur Meunier d’une complexité et d’une finesse à se damner. Le Champagne est à la fois ample, profond, long en bouche, racé, fin… Vous l’aurez deviné, nous en sommes fans, mais avec 12 bouteilles pour l’année la rupture n’est pas loin… Nous avons aussi reçu le Coteaux Champenois 100% Meunier de 2014, un blanc complexe, fin et minéral qui pourrait créer la surprise lors de dégustations (idem: 12 bouteilles..; sur un total de 267).

Chez Thomas Perseval, le même souci de perfection anime ce jeune vigneron. Thomas et Aurélien se connaissent bien, s’entraident et échangent souvent leurs expériences. Bref, c’est le genre d’amitié qu’on imagine bien en Anjou, dans le Beaujolais ou dans le Jura, mais curieusement moins en Champagne. Thomas Perseval possède environ 2.5 hectares, avec une production annuelle de 10 à 15000 bouteilles, ce qui semble colossal par rapport à Aurélien, mais reste minuscule par rapport aux mastodontes de la région. Thomas préfère parler de ses six parcelles car en véritable amoureux du terroir il vinifie des cuvées parcellaires capables d’exprimer les différences de terroir.

La dégustation des 2016 en barriques est éloquente car la différenciation par parcelle vous permet de comprendre le rôle des sols dans la complexité aromatique d’un vin. La cuvée Les Sablons (85% Pinot Meunier, 15% Pinot Noir) tire sa vivacité et sa fraîcheur d’un sol sablo-limoneux. La cuvée La Masure, située en bas de coteau (80% Pinot Noir, 20% Chardonnay) est un vin plus puissant, plus affirmé avec une belle fraîcheur finale. Le Village est un 100% Chardonnay aux notes fumées qui possède la délicatesse d’un beau blanc de blancs. Quant au coteau champenois Sous le Cerisier (60% Chardonnay, 30% Petit Meslier, 10% Arbane), il s’agit d’un blanc puissant avec une très belle amertume ramenant de la fraîcheur.

La dégustation s’est terminée avec quelques bouteilles de 2012 (millésime disponible chez Mi-Fugue), dont le Tradition 2012,  la cuvée emblématique du domaine (45% Pinot Noir, 45% Pinot Meunier et 10% Chardonnay), d’une belle ampleur, vif (0 dosage…) et surtout d’une grande facilité à boire.

Que les fans de bulles se rassurent donc: Aurélien Lurquin et Thomas Perseval font partie de la jeune génération qui apporte du sang neuf au vignoble champenois.

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