Balade dans le vignoble angevin… sur fond de gel.

     

Au cas où vous n’auriez pas suivi l’actualité viticole, 2016 sera un millésime épouvantable pour bon nombre de vignerons… et de buveurs. Le gel a sévi entre le 21 et 28 avril, ravageant le vignoble de l’ouest de la Loire au Jura en passant par la Bourgogne. Cet épisode n’a épargné aucun vignoble: Jasnières, le Muscadet, Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Chinon, Saumur,  Menetou-Salon, Beaune, la Côte de Nuits… Au moins de ce côté il n’y aura pas de jaloux. Dire que les vignerons commençaient juste à respirer avec 2014 et 2015, deux millésimes qualitativement et quantitativement corrects. Statistiquement le gel frappe tous les huit ans en moyenne et justement le dernier épisode en Anjou date de 2008. Bref, le gel fait partie des plaies naturelles que le vigneron supporte avec plus ou moins de résignation, sachant qu’une assurance annuelle  contre ce type de catastrophe finit par coûter plus cher qu’une récolte « rectifiée » périodiquement.

La visite de Mi-Fugue Mi-Raisin dans le vignoble angevin ne tombait donc pas au meilleur moment, mais discuter avec les amis-vignerons permet de leur remonter le moral (au moins pour quelques heures!) et de parler des deux jolis millésimes qui seront mis en bouteilles avant les vaches maigres de 2016.

La visite a commencé chez Richard Leroy, dont la vigne des Rouliers a été particulièrement affectée (3 barriques selon Richard au lieu d’une bonne quinzaine!) et celle des Noëls de Montbenault  moins touchée car située sur une bute permettant une meilleure circulation de l’air.

Pour ceux qui n’ont jamais été confronté au gel une brève explication s’impose. Le gel est particulièrement redouté en avril-mai lors du débourrement de la vigne (lorsque les bourgeons sortent). A ce moment la plante est active et la sève circule afin de nourrir les bourgeons. Lors d’un épisode de gel e nerf de la guerre est l’humidité. Pour peu qu’il pleuve la veille ou que le vigneron ait retourné sa terre (erreur fatale faisant remonter l’humidité à la surface) la récolte peut être totalement compromise. C’est la combinaison du gel et du soleil qui est redoutable. Le fait que le bourgeon soit pris dans une gangue de gel n’est pas si grave. Les lecteurs qui se souviennent  de leurs cours de physique (!) savent qu’en thermodynamique  la formation de gel dégage de la chaleur qui protège le bourgeon. C’est la raison pour laquelle certains vignerons arrosent leur vignoble jusqu’au matin pour créer de la chaleur.  L’affaire se gâte lorsque le gel agit comme une loupe sur le bourgeon,  permettant aux rayons du soleil de brûler les jeunes pousses. Vous obtenez ce que Richard Leroy appelle « la feuille de cigarette »: sur les feuilles en formation le bord est noir et dur avec le centre du bourgeon gris et fané.

    

En se promenant dans ses vignes Richard a pu constaté les dégâts: au-delà d’une récolte compromise certains vieux pieds devront être arrachés car lorsque la vigne est vieille le gel la contraint à puiser davantage de sève pour sauver ce qu’elle peut, ce qui l’épuise et la pousse à déclarer forfait. Vous l’aurez compris, l’étendue des dégâts ne se juge pas le lendemain matin mais sur plusieurs semaines voire plusieurs mois.

Pour nous remonter le moral nous nous sommes dirigés vers le chai pour goûter ce qui pourra être picolé sans crainte d’ici 2016: les 2014 prêts à être mis en bouteilles (depuis la mise a été faite les 2 et 3 mai) et les 2015 en élevage. Richard a préféré filtrer légèrement Les Rouliers 2014 pour éviter tout problème en bouteille. La filtration a légèrement « serré » le vin, mais pour l’avoir goûté juste avant nous sommes persuadés que le vin sera à la hauteur du millésime: une tension et une pureté de folie! Quant aux Noëls de Montbenault ils seront mis en bouteilles tel quels et feront partie à notre avis des plus grands Noëls du domaine et donc des très grands vins blancs de France. Le millésime 2015 goûté sur fûts est à la fois riche et tendu et fera  aussi partie des très beaux millésimes du domaine.

Nous nous sommes ensuite rendus avec Richard Leroy chez son ami-voisin Dominique Dufour que nous avions rencontré il y a quelques années chez Mi-Fugue Mi-Raisin. Dominique,natif de Rablay-sur-Layon, a quitté sa région pour travailler dans l’aéronautique. Pour sa retraite il a récupéré les vignes de ses parents et travaille avec acharnement une parcelle de 70 ares baptisée « les Aussigouins » (l’autre moitié de la parcelle est louée à Mai et Kenji Hodgson qui en font leur belle cuvée « les Aussigouins »).

Le résultat est à la hauteur de l’énergie qu’il met à travailler sa parcelle: la cuvée « Expecto…R » est un Chenin sec d’une incroyable pureté et d’une finesse à se damner. Un très grand Chenin et un coup de maître pour un premier millésime! On pourrait se dire qu’il s’agit de la chance de débutant, mais la dégustation de son moelleux « Nectar d’Empyrée » confirme le talent de Dominique: il s’agit d’un moelleux d’une grande finesse, équilibré par une belle acidité qui le rend digeste et gourmand. Chez Mi-Fugue nous ne sommes pas des fous de sucre, mais là, on en boirait volontiers! Inutile de vous dire qu’avec 400 bouteilles de sec et 200 bouteilles de moelleux, Dominique ne compte pas inonder le marché. Les 2015 en élevage (6 barriques!) sont à la hauteur des 2014 avec des vins fins, précis et élégants… Et dire qu’à propos des vins d’Anjou certains journalistes parlent de « tragédie du Chenin »!

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Le lendemain nous avons payé une visite à Baptiste Cousin (le fils d’Olivier) qui s’est mis à son compte en 2012 et qui vinifie aujourd’hui l’intégralité de ses cuvées sans ajout de SO2. Tous les vignerons du coins vous le diront: Baptiste est un bosseur qui passe le plus clair de son temps dans ses vignes (3.5 hectares). Cela lui permet de rentrer des raisins d’une qualité irréprochable et de vinifier sans ajout de sulfites. Après une visite de ses vignes (la fierté de tout vigneron qui se respecte!), direction la cave où nous avons goûté des Grolleau fins et fruités, un Pinot Noir (cuvée Bandidid’Os, confidentielle!) d’une grande finesse, un superbe Chenin  macéré quelques jours (Baptiste raconte l’anecdote de son pressoir qui est tombé en panne et qui lui a valu une macération « accidentelle » qu’il reproduit à chaque millésime pour sa cuvée « Pied! ») et un Gamay qui peut rivaliser avec un paquet de beaujos (cuvée Dynamitage).

Après un très bon moment passé en compagnie de Baptiste nous sommes repartis ravis en nous disant que la relève était assurée et qu’un domaine n’utilisant pas un seul milligramme de SO2 pouvait élaborer des cuvées d’une grande précision aromatique et d’une très grande buvabilité!

Le lendemain nous nous sommes rendus chez Stéphane Rocher (la ferme de Montbenault), jeune vigneron rescapé du marketing (il a dirigé la campagne « cinq fruits et légumes par jour »). A la vue de son vignoble et son moral en berne on se demande s’il ne regrette pas le bon vieux temps du marketing. En tout cas nous ne le regrettons pas car après une heure dans le vignoble à constater les dégâts, nous avons dégusté quelques vins et notamment sa cuvée « Les Mûriers », un  Grolleau – Cabernet Franc fruité et gourmand. Stéphane est un des rares vignerons du coin à produire un blanc de noirs à base de Cabernet Franc, la cuvée « K blanc », ample et fruitée. Un très beau vin de gastronomie. Sa cuvée « Lemon tree » est un Chenin avec 20 mg de sucre résiduel (donc peu sucré…) idéal pour l’apéritif. Nous vous en parlerons davantage lors d’un prochain billet…

Nous avons terminé la journée chez Pierre Ménard, un jeune vigneron qui a repris un demi hectare à ses parents (qui en possèdent 25). Facile de faire bon sur un petit lopin, me direz-vous! Mais Pierre est comme toutes ces âmes bien nées qui n’attendent point le nombre des années: il a des idées précises sur ce qu’il veut faire, où et comment. Il a pas mal bourlingué et connaît tous ses voisins qui « font bon », même ceux à une centaine de kilomètres. Bref, Pierre Ménard est un jeune vigneron humble, curieux, exigeant et qui ne souhaite pas brûler les étapes. Au chai nous avons dégusté les trois cuvées du domaine (ce qui est déjà pas mal pour 50 ares!). La cuvée « Laika », un sauvignon sur schistes, tendu, fin et minéral qui dérouterait plus d’un amateur de sauvignon. La cuvée de Chenin est plus riche et exigera de la patience pour s’exprimer, mais le vin est plus que prometteur. Quant à son coteau du Layon « Cosmos », il joue dans la même catégorie que le moelleux du Dominique Dufour…

 

Nous avons aussi rendu visite à Clément Baraut, ZE vigneron de Savennières que nous ne présentons plus et Adrien Mello, un jeune vigneron installé à Saint-Aubin-de-Luigné qui commercialise son premier millésime… prometteur. Nous vous en reparlerons… mais nous ne pouvions terminer ce billet sans mentionner les portes ouvertes de Bruno Rochard, un moment de convivialité mêlant dégustation, spectacles et musique…

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