Le miracle champenois

        

Le Champagne est une énigme. Comment se fait-il qu’une appellation prestigieuse  produisant plus de 350 millions de bouteilles par an (pour une demande mondiale excédant les 500 millions) connaisse un tel renouveau? Des jeunes vignerons passionnés luttent aujourd’hui pour redorer le blason de cette appellation réputée produire un vin effervescent standardisé…et produisent des vins reflétant le terroir et le millésime, par opposition au goût « identifiable » des  « grandes maisons ».

Il s’agit d’une énigme car tout incite le vigneron à « se la couler douce »: le prix de l’hectare (plus d’un million d’euros) et la demande mondiale. Mettez-vous à sa place: si toute votre production était vendue d’avance, vous lèveriez-vous le matin à 5 heures pour aller piocher votre vigne?

Et pourtant, on ne compte plus les domaines qui élaborent des vins vibrants: Laval, Lassaigne, Léclapart, Lahaye, Doquet, Doyard, Selosse, Bedel, Laherte, Ledru, Horiot, Demarne-Frison, Courtin, Brochet, Gautherot, Prévost et bien d’autres…

Un élément de réponse provient sans doute du travail de marketing effectué par les mastodontes, travail qui a balisé le terrain pour les petits domaines. En d’autres termes, sans cuvée « Cristal » ou « Dom Pérignon », on n’aurait jamais eu de « Substance » de Selosse ou de cuvée « Apôtre » de Léclapart…

Nous avons récemment rendu visite à deux vignerons d’exception: Vincent Laval à Cumières, à quelques verstes d’Epernay, et David Léclapart à Trépail (Montagne de Reims). Le plaisir de rencontrer ces vignerons est triple: l’amitié qui se tisse au fil des années, la dégustation des vins clairs (avant la mise en bouteilles sur lattes) et la visite des vignes, là où l’essentiel se passe pour élaborer un grand vin… et là où les (bons!) vignerons passent le plus clair de leur temps.

Les parisiens qui foulent le bitume ont tendance à l’oublier: la terre est une matière vivante et grouillante.

L’entretenir demande un effort permanent de la part du vigneron, notamment pour limiter la concurrence de l’herbe, spécialement féroce en cette saison (ceux qui ont un simple gazon s’en rendent compte). A cela s’ajoute l’ébourgeonnage consistant à enlever les pousses indésirables afin de limiter les rendements.

Vigne ébourgeonnée, offrant un aspect « aéré »

L’autre solution, bien sûr, consiste à passer un coup de désherbant dans les vignes. Mais là, non seulement vous tuez toute vie du sol essentielle à son oxygénation et à sa fertilisation, mais vous tassez le sol et empêchez le système racinaire d’aller chercher sa nourriture en profondeur. Le résultat est sans appel: un Champagne plat, d’une acidité à vous déchausser les dents, acidité masquée par un fort dosage qui empâte la bouche.

A vous de choisir entre les vins issus des vignes ci-dessous…

                   

La comparaison nous rappelle la belle phrase de Saint-Exupéry, trop souvent oubliée: « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».

Celle de gauche – évidemment! – appartient  à David Léclapart. Elle possède une texture tendre et grumeleuse. En revanche la terre de droite est dure et imperméable. Du coup la pluie ruisselle au lieu de pénétrer en profondeur et les racines vont chercher l’eau et les nutriments en surface.

Alors oui, un miracle champenois a bien lieu, celui des vignerons revendiquant la spécificité de leurs terroirs et produisant des grands vins d’émotion. Certes, ces vins ne sont pas donnés, mais après tout si on met plusieurs centaines d’euros dans un écran plat ou un iPad, on peut bien en mettre  une cinquantaine dans une bouteille pour passer un moment inoubliable entre copains…

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