Les français aiment croire que leur beau pays est le centre du monde des vins naturels. Après avoir dominé le monde du vin classique grâce à Bordeaux et à la Bourgogne, il était naturel et légitime que la France devienne le fleuron du vin naturel. Parlez-en à Pierre Overnoy, qui vous dira… le contraire! Il cite dans l’ouvrage « La Parole de Pierre » les italiens qui ont pris le train bien avant nous et qui sont loin devant dans le domaine de l’agriculture biologique.
Cela fait donc quelques années que les professionnels français du vin se prennent des claques sur les salons en goûtant des vins autrichiens, serbes, espagnols ou italiens. Mi-Fugue Mi-Raisin en a justement pris une en goûtant les vins du sicilien Aldo Viola, un vigneron exigeant et passionné qui évolue en marge des grands noms italiens.
L’exploitation d’Aldo Viola est basée à Marsala, sur la côte ouest de l’île, avec des vignes situées essentiellement autour d’Erice et de Trapani, pour ceux qui connaissent le coin. Le domaine s’étend sur 11 hectares, preuve qu’on peut élaborer des vins bluffants sur une superficie « honorable ».
Lorsque nous avons rencontré le vigneron, nous avons immédiatement deviné qu’il ne passait pas son temps cloitré dans un bureau. Cela dit, il ne suffit pas d’être dans la vigne pour faire des grands vins. Le discours d’Aldo est celui d’un passionné ayant les pieds sur terre. Il possède une grande compréhension du monde végétal qu’il met au service de sa vision du vin. Pour Aldo le vin est une boisson complexe et vibrante et chaque cuvée doit raconter une histoire et susciter une émotion uniques. Aldo Viola ne fait pas du vin pour étancher la soif de ses clients ou procurer une légère (ou lourde!) sensation d’euphorie, mais plutôt pour éprouver une émotion. Il cite Richard Leroy et Thierry Allemand comme modèles de grands blancs et de grandes Syrah.
La dégustation des quatre cuvées qu’il propose nous a fait le même effet: des grands vins à forte personnalité qui ne peuvent laisser indifférent. On peut ne pas aimer les vins de Richard Leroy, Thierry Allemand ou Aldo Viola, mais dire qu’ils sont quelconques ou fades relèverait de la mauvaise foi absolue.
Aldo vinifie quatre cuvées. Deux blancs à base de Catarato et de Grillo et deux rouges à base de Syrah.
Commençons par les blancs. La cuvée Krimiso 2015 est un vin macéré à base de Catarratto. Les raisins sont éraflés puis macérés pendant cinq mois sans pressurage. Cette méthode permet de limiter l’oxydation du vin et d’éviter le côté « orange » du vin qui a ses détracteurs. Les raisins sont écrasés sous leur propre poids et seul 40% du jus est gardé.
La cuvée Krimiso possède à la fois une rondeur et une vivacité surprenantes, avec une finale légèrement saline. Il s’agit d’un vin d’une incroyable ampleur mais qui ne présente aucun caractère de « mollesse ». La légère amertume du cépage lui donne un surcroît d’énergie. Il s’agit d’un superbe vin de gastronomie pouvant accompagner aussi bien un foie gras qu’une viande blanche ou un poisson.
La cuvée Egesta 2015 est composée de Grillo, un cépage connu pour sa salinité et ses notes empyreumatiques (ou « de brûlé » si vous préférez). Les grappes entières sont laissées dix jours puis la fermentation a lieu en cuves pendant 6 mois. La mise en bouteilles a lieu après un soutirage… et sans adjonction de SO2. Aldo privilégie les méthodes ancestrales de vinification en amphores, mais préfère utiliser des cuves en inox car selon lui on n’altère pas le goût du raisin. A la dégustation le vin possède la salinité d’un vin du Jura, avec une incroyable tension combinée à une richesse aromatique hors du commun. Comme tous les grands vins, Egesta réconcilie les contraires: le vin est à la fois salin, vif et riche, sans lourdeur. Il est d’une grande finesse aromatique tout en ayant une incroyable présence.
Les deux cuvées de rouge, Guarini et Guarani Plus, à base de Syrah prouvent qu’on peut vinifier des vins rouges frais et digestes dans un climat chaud.
La cuvée Guarini 2015 provient d’un sol argilo-calcaire. 95% du vin est vinifié en cuve et 5% en en demi-muids de 800 litres. Le millésime 2015 étant exceptionnel et relativement plus chaud, Aldo a choisi de décuver au bout d’une semaine, plutôt que 3 ou 4. Le résultat: un vin possédant à la fois de la matière, une tension et une grande finesse. Le fruit est présent sans ce côté parfois écoeurant de la Syrah. Quant à la cuvée Guarini plus, il s’agit de raisins issus de marnes blanches. Le vin est élevé en demi-muids pendant onze mois sans adjonction de SO2, avec 50% de bois neuf et 50% issu de deux vins. Comme à Cornas, Aldo Viola laisse 15% des raisins avec la rafle. Les rendements sont infimes: une bouteille par pied de vigne!… A la dégustation le vin oscille entre un Cornas et une Côte Rôtie, avec des notes de cuir et de suie. Bref, il s’agit d’une très belle Syrah de (longue) garde.
A l’issue de cette dégustation aussi étonnante qu’édifiante, on se demande comment il est possible d’obtenir autant de fraîcheur et de buvabilité dans des vins provenant d’un climat aussi chaud et aride. Selon Aldo Viola, l’humidité de l’air et le vent modifient le « ressenti » de chaleur de la vigne et l’aident à mieux gérer l’aridité.